Laval NG ou La réussite (très) discrète d’un bédéiste du Sud

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Actuellement exposé au centre culturel Albert Camus de Tananarive (1), le bédéiste mauricien Laval Ng, reste peu connu du grand public malgré sa contribution à la série culte La balade au bout du monde et un début de carrière prometteur.

Né en 1972, le Mauricien Laval Ng Man Kwong, de son nom d’artiste Laval NG, est, avec Barly Baruti, l’un des très rares bédéistes francophones du sud à avoir réussi à s’imposer en Occident. Après avoir travaillé dans le dessin animé pour la société Jadoma Films Ltd de 1992 à 1994, il part aux Etats Unis de 1994 à 1997 où il décroche un diplôme de Bachelor of Art avant de revenir à Maurice. Après son retour, il commence à travailler comme graphiste free lance, avant de voir sa carrière réellement démarrer en 1999 où il remporte le premier prix du concours de l’Alliance française de Port Louis avec une histoire de corsaire intitulée Tonton Labourdonnais. Ce succès lui permet d’assister à Quai des bulles, le salon de la Bd de Saint Malo, la même année et d’y faire ses premières rencontres. Puis, en 1999, il publie deux bandes dessinées chez un éditeur américain, Caliber comics : Magus, The Enlightened One et Legends Of Camelot, Quest For Honor, histoires tirées de contes et légendes indo-européennes et fortement teintées d’une inspiration heroïc fantasy.
En parallèle, Laval NG travaille comme caricaturiste et dessinateur de presse pour L’hebdo de Maurice, tout en continuant à produire quelques planches de BD pour des revues locales. Il participe, en particulier, à l’aventure de la revue Autopsie, lancée par le bédéiste Eric Koo Sin Lin et publie dans la revue interculturelle Traces ainsi que dans le fanzine mauricien de Bd, Ticomix.
C’est une rencontre fortuite au salon de la Bd de La Réunion en 2002 avec le scénariste français Pierre Makyo qui décide du tournant que va prendre sa carrière (suite à une erreur d’organisation, les deux hommes doivent partager une chambre d’hôtel).
Makyo, scénariste très connu dans la profession, cherche alors un dessinateur pour illustrer la suite de la série cultissime de Glénat : La Balade au bout du monde. Laval NG lui montre son travail et Makyo décide de proposer son nom à Glénat.
C’est le début d’une série de 4 albums dont 3 ont déjà été publiés : Les pierres levées, Les pierres invoquées, Pierres envoûtées.
En 2006, Laval participe au tome 3 du collectif Les chroniques de sillage des éditions Delcourt, où il produit l’histoire Xen-Auto-Phobia en 2006 et illustre régulièrement des ouvrages, des affiches ou des couvertures (2).
Pourtant malgré ce parcours remarquable, la carrière de Laval intéresse peu de gens. Peu d’articles, peu d’interviews, quasiment aucune invitation à des salons spécialisés (3) pour cet artiste venu du sud au parcours atypique.
Plusieurs raisons peuvent expliquer cette relative indifférence.
Les origines de Laval Ng sont un début d’explication. Maurice n’est pas un grand pays de la bande dessinée. Malgré quelques tentatives et des talents certains (4), peu d’albums ne sont réellement sortis de ce pays à la tradition littéraire pourtant fortement ancrée. Il est vrai que la taille de la population (1,2 million d’habitants), son isolement géographique, son image sympathique mais quelque peu biaisée (les belles plages et le sable fin) ne sont guère engageants pour y construire un marché porteur pour la Bd. Ce manque de soutien en interne est un réel handicap pour les talents du pays qui, tous, abandonnent la BD pour se tourner vers des activités plus lucratives comme le dessin de presse, la caricature ou le graphisme. A l’exception du fanzine Ticomix, une seule Bd a été produite à Maurice depuis l’année 2 000. Laval Ng par exemple, ne compte aucune œuvre à son nom dans son propre pays, phénomène rare sur un continent où les auteurs locaux ont d’abord produit chez eux avant de tenter leur chance en Europe. De plus, le stade relatif de développement atteint par ce petit pays entraîne une absence totale d’ONG et autres organismes internationaux qui, souvent, dans d’autres contrées, fournissent du travail aux dessinateurs du pays à travers différents projets utilisant de la bande dessinée comme support.
Le public mauricien, peu habitué à voir de la bande dessinée locale, ne constitue donc pas un marché porteur. Les tomes 1 et 2 de la série Balade, par exemple se sont vendus à moins de 120 exemplaires depuis leur sortie en 2003 et 2004.
Une plongée dans le communalisme (5) cher à Maurice est une explication supplémentaire. Issu de la minorité chinoise de Maurice (6), traditionnellement plus portée vers le commerce que vers les arts, Laval Ng est une sorte de météorite dans l’espace culturel national et ne bénéficie pas, de ce fait, d’une réelle curiosité pour son travail de la part de sa communauté d’origine, condition importante dans un pays aussi divisé. Il n’est pourtant pas le premier dessinateur sino-mauricien puisque quelques années auparavant le peintre Mario Ng, qui avait fait une incursion réussie dans la caricature, et Eric Koo Sin Lin, bédéiste réputé (7), s’étaient déjà fait connaître de leurs compatriotes avant d’émigrer tous les deux en Australie, faute de perspectives suffisantes dans leur pays (8). À l’extérieur, comme l’ensemble des artistes mauriciens, il n’est pas non plus perçu comme un bédéiste issu du continent africain et, de ce fait, ne bénéficie que peu de la curiosité et du soutien de la diaspora africaine présente en France ou en Belgique voire même des opérations lancées par Africa comics (9) ou par Albin Michel et le bédéiste P’tit Luc qui, pour l’album BD Africa, ne sélectionnèrent ni d’auteurs réunionnais (trop français), ni d’auteurs mauriciens (pas assez africains) et peu d’auteurs sud africains (trop « underground »). Laval Ng ne représente pas un pays ni un courant particulier, il ne représente que lui-même…
Enfin, la reprise de la série Balade au bout du monde est peut-être un cadeau empoisonné pour un jeune auteur débutant. Obligé de se couler dans le style graphique de cette série à succès des années 80, soumis à la comparaison avec le travail de ses glorieux prédécesseurs (Michel Faure, Vicomte…), dernier dessinateur avant l’arrêt définitif décidé par Glénat, le contexte ne se prête peut-être pas à la reconnaissance de son talent.
2007, qui verra la sortie du dernier tome de la série Balade, devrait être l’occasion pour lui d’acquérir la reconnaissance qui lui manque auprès du public et de la profession. L’exposition Mythes, contes et légendes organisée au Centre Culturel Albert Camus de Tananarive du 11 au 16 juin retrace son parcours professionnel et constitue une première forme de reconnaissance de la part d’un pays voisin. La sortie à Maurice en septembre d’un superbe livre d’aphorismes illustrés, Un lecteur averti en vaut deux, signé avec l’auteur belge Faby Duff, constituera le premier ouvrage mauricien qui puisse lui être attribué à part entière.
La période qui suivra l’après Balade, dont la livraison est prévue en octobre, sera sans doute l’occasion pour lui de proposer des projets plus personnels et plus adaptés à son univers onirique.

1. Dans le cadre de la troisième édition du Salon Gasy bulles, dédié à la Bande dessinée avec différentes manifestations et expositions du 11 au 16 juin 2007.
2. Illustrations d’un Cd de musique, Tizan, affiche d’Îles en bulle, le 1er salon mauricien de Bd en 2003, Soirs d’Enfance, livre de poésie de Michel Ducasse, Oh, La, La !!!Que Me Contez-Vous Là ?, recueil de contes en 2004
3. À l’exception de Quai des bulles, donc et le Cyclone BD, salon de la Bd de La Réunion.
4. Je renvoie le lecteur à mon article sur la bande dessinée mauricienne parue dans BD Zoom, et pour l’ensemble de la zone Océan indien à une bibliographie commentée disponible sur le site du CNBDI.
5. Communalisme est le terme utilisé à Maurice pour désigner le communautarisme.
6. Moins de 3 % de l’ensemble de la population du pays.
7. Nous les mauriciens et Vive la patrie, deux superbes plongées dans la société mauricienne. Koo Sin Lin avait déjà publié chez Delcourt en 1990 dans un album collectif : Les enfants du nil.
8. Eric Koo Sin Lin a édité The gold coast : a visual diary en 2006.
9. Africa comics en 4 volumes, ne parle d’aucun bédéiste mauricien ou seychellois…
///Article N° : 5975

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